Centre de secours Gouzé

, Lieu : Nantes, Maître d’ouvrage : EPDIS de Loire-Atlantique, Période : 2002 - 2006, Surface : SHON : 5035 m²

Photographe: Philippe Ruault

Le centre de secours de Gouzé offre, sur le quartier, l’image d’un bâtiment public. L’enjeu est de réaliser un projet identifiant le corps état major accompagné de son jardin à la française et présentant une fonctionnalité optimum pour le centre de secours. L’état major et sa terrasse, en partie haute du site, surplombe la cour de manœuvre avec une nouvelle entrée, rue Maréchal Joffre. Le corps central de ce bâtiment destiné à un musée, bénéficie d’une large échappée visuelle sur le cœur d’îlot. Sur le niveau inférieur ou RDC, s’organisent les éléments majeurs de la caserne : cour de manœuvre, remisage, vestiaires, gestion des alertes, unité technique, unité sports, façades d’exercices. Les zones de détente, de restauration et administration bénéficient de la terrasse haute. Le parti d’aménagement retenu permet de proposer sur un site en centre ville, le nouveau centre de secours de Gouzé, ouvert sur la ville à la présence rassurante.

Barré-Lambot, architectes

 

Texte d’Alain Gunst

Service d’incendie et de secours de Nantes Gouzé

Quelques rares critiques actuels découvrent que l’architecture évolue doucement en prenant ses distances à la forme exagérément intentionnelle, et en clignant de l’œil à la substance sensible. D’autres anthropologues diront qu’elle se féminise et c’est tant mieux. Or la substance n’est pas la matière, mais plutôt une symbiose entre une dominante de textures en prise directe sur les sens, et l’air inclus, dimensionné et éclairé. Nous devons à quelques précurseurs le fait d’avoir bâti une unité de substance avec des matériaux de tonalité proche. J’entends les protestations : si l’architecture avance doucement, c’est qu’il n’y a pas le feu!… Justement le feu se déclare dix fois par jour en ville, sur vingt à trente interventions. Et le commandant Poirier me rappelle qu’il faut faire vite pour être opérationnel. Je parlerai donc de l’esthétique après avoir développé les astreintes du feu. La situation du centre de sapeurs pompiers de Nantes Gouzé remonte au XIX° siècle, et les bâtiments anciens qui bordent le quartier font partie intégrante du projet général, dont la programmation sur six ans a donné lieu à quelques débats entre les pouvoirs publics et les principaux intéressés, les pompiers et les riverains. La proximité du jardin des plantes, celle de la gare TGV, de l’église St Clément, des lycées Livet et Clemenceau, de l’IUT, d’une maison de retraite et du cimetière de la Bouteillerie confère à ce quartier une complexité urbaine à forte activité quotidienne, incitant les casernes militaires à se déplacer en périphérie au fur et à mesure de la densification urbaine. Le choix étayé de demeurer au centre répond à un sens de l’histoire locale. Les architectes lauréats du concours : Philippe Barré et Agnès Lambot, ont pris la mesure de cette situation en privilégiant quelques points essentiels :

– Intégrer le projet au quartier, aux anciens bâtiments de l’Est et du Nord.

– Constituer un ensemble clair et lisible à partir de la diversité des fonctions.

– Permettre des accès et des départs de véhicules rapides et opérationnels.

– Créer un grand espace horizontal en prolongement du garage, creusé à partir d’un dénivelé de trois mètres de hauteur.

– Constituer un édifice urbain visible à fort caractère.

– Utiliser des matériaux rigoureux, durables et homogènes.Une critique constructive peut reprendre ces points en les développant.

– L’intégration au quartier est parfaitement réussie : le bâtiment semble avoir toujours existé, malgré sa modernité de masse et de texture. D’autre part il offre le mérite de la transparence par tous ses angles.

– Les fonctions sont diverses: dix véhicules en état d’alerte, cent dix hommes d’astreinte 24 heures sur 24 par roulement, dont trente six plongeurs avec matériel de sauvetage. Un gymnase et deux salles de sport spécialisées, des ateliers de remise en état après intervention, une restauration, quatre niveaux de chambres d’astreinte individuelle avec dégagement rapide par perches, nombreux vestiaires, une cour de manœuvre et des bureaux d’administration. La lisibilité des espaces affectés est l’une des qualités principales du projet. Depuis chaque lieu, on peut avoir une percée visuelle sur l’ensemble.

– Pendant cette prise de notes en fin de matinée, trois alertes ont eu lieu, suivies de départs dans la minute. Un bouton commande même les feux verts du quartier. Huit mille départs par an au même rythme. L’efficacité imprègne la vie quotidienne des activités.

– Le pari de construire le vide, l’air du projet a exigé une somme de déblai considérable, mais le résultat est exceptionnel: c’est autour de cette grande cour de manœuvre horizontale, prolongée par la halle aux véhicules, que les éléments de l’édifice s’articulent. Utiliser cette nouvelle hauteur d’assise affleurant le granit sous jacent, comme abri pour les voitures de fonction, et comme terrasse belvédère prolongeant la partie restauration, semble couler de source.

– Le caractère de l’édifice doit beaucoup au choix des matériaux, outre la configuration spatiale. En extérieur, la feuille de zinc en bardage vertical à joints debout. Très présente, la lumière grise mate du zinc est reprise par des bétons préfabriqués lisses ou sablés en soubassement. Le rapport du sol aux parois devient un rapport de continuité. Des caillebotis d’acier galvanisés à l’Est clignent de l’œil aux volets persiennes des chambres, en aluminium, articulés par un rail et perpendiculaires aux façades. Les chambres de dimension monacale, articulées en trois temps, répondent au principe d’astreinte. Les sapeurs n’y habitent pas en permanence.

– En intérieur, la grande halle aux véhicules, dite remise par les usagers, est impressionnante de clarté, grâce aux grandes fermes treillis en bois kerto de grande portée, et aux parois de verre armé reglit renforçant la lumière. Les sols sont en béton surfacé teinté dans la masse. Le gymnase restauré, très lumineux affirme le caractère bois, l’autre très belle salle de sport spécialisée plus basse de plafond présente une tendance grise, ouverte en rythme par des longues portes horizontales en plafond, créant un éclairement oblique selon les heures.

– Pour contraster avec cet ensemble étonnant de gris matériels lumineux, et de bois contreplaqués, des grands pans de peinture rouge vif inondent certains murs. J’en conteste cependant la tonalité, laissant le vermillon aux magnifiques camions, et suggère que l’ocre orangé, aux limites du jaune indien, aurait mieux fait la transition entre bois et lumière grise. L’homogénéité d’un édifice complexe est une vertu, difficile à maintenir, mais essentielle pour faire évoluer l’architecture elle-même. La grande halle lumineuse est un lieu magique, ponctué par les véhicules en attente, et respirant au gré des interventions. L’édifice déjà transparent s’ouvre rapidement au gré des alertes. La critique esthétique inclut donc la technique, la fonction et l’opérationnel, ce qui n’étonnera pas les amateurs d’histoire et les lecteurs de Vitruve. L’ensemble actuel du centre de secours est exemplaire de rigueur, et certains lieux, certains angles de vue dépassent la logique opérationnelle, pour rappeler la rigueur évolutive des derniers projets de Barré-Lambot: immeuble Tourville, au béton matricé, extension de la mairie de Chantenay, aux cuivres verts pré-oxydés, logements en bandes de Norkiouse, aux bardages blancs d’éternit grandes ondes. La matière bien tempérée, c’est-à-dire la substance habitable, deviendrait l’une des clés accessibles d’un progrès en architecture, ce qu’il fallait encore démontrer.

 

Alain Gunst