Photographe: Philippe Ruault
Le centre de secours de Gouzé offre, sur le quartier, limage dun bâtiment public. Lenjeu est de réaliser un projet identifiant le corps état major accompagné de son jardin à la française et présentant une fonctionnalité optimum pour le centre de secours. Létat major et sa terrasse, en partie haute du site, surplombe la cour de manuvre avec une nouvelle entrée, rue Maréchal Joffre. Le corps central de ce bâtiment destiné à un musée, bénéficie dune large échappée visuelle sur le cur dîlot. Sur le niveau inférieur ou RDC, sorganisent les éléments majeurs de la caserne : cour de manuvre, remisage, vestiaires, gestion des alertes, unité technique, unité sports, façades dexercices. Les zones de détente, de restauration et administration bénéficient de la terrasse haute. Le parti daménagement retenu permet de proposer sur un site en centre ville, le nouveau centre de secours de Gouzé, ouvert sur la ville à la présence rassurante.
Barré-Lambot, architectes
Texte d’Alain Gunst
Service dincendie et de secours de Nantes Gouzé
Quelques rares critiques actuels découvrent que larchitecture évolue doucement en prenant ses distances à la forme exagérément intentionnelle, et en clignant de lil à la substance sensible. Dautres anthropologues diront quelle se féminise et cest tant mieux. Or la substance nest pas la matière, mais plutôt une symbiose entre une dominante de textures en prise directe sur les sens, et lair inclus, dimensionné et éclairé. Nous devons à quelques précurseurs le fait davoir bâti une unité de substance avec des matériaux de tonalité proche. Jentends les protestations : si larchitecture avance doucement, cest quil ny a pas le feu!… Justement le feu se déclare dix fois par jour en ville, sur vingt à trente interventions. Et le commandant Poirier me rappelle quil faut faire vite pour être opérationnel. Je parlerai donc de lesthétique après avoir développé les astreintes du feu. La situation du centre de sapeurs pompiers de Nantes Gouzé remonte au XIX° siècle, et les bâtiments anciens qui bordent le quartier font partie intégrante du projet général, dont la programmation sur six ans a donné lieu à quelques débats entre les pouvoirs publics et les principaux intéressés, les pompiers et les riverains. La proximité du jardin des plantes, celle de la gare TGV, de léglise St Clément, des lycées Livet et Clemenceau, de lIUT, dune maison de retraite et du cimetière de la Bouteillerie confère à ce quartier une complexité urbaine à forte activité quotidienne, incitant les casernes militaires à se déplacer en périphérie au fur et à mesure de la densification urbaine. Le choix étayé de demeurer au centre répond à un sens de lhistoire locale. Les architectes lauréats du concours : Philippe Barré et Agnès Lambot, ont pris la mesure de cette situation en privilégiant quelques points essentiels :
– Intégrer le projet au quartier, aux anciens bâtiments de lEst et du Nord.
– Constituer un ensemble clair et lisible à partir de la diversité des fonctions.
– Permettre des accès et des départs de véhicules rapides et opérationnels.
– Créer un grand espace horizontal en prolongement du garage, creusé à partir dun dénivelé de trois mètres de hauteur.
– Constituer un édifice urbain visible à fort caractère.
– Utiliser des matériaux rigoureux, durables et homogènes.Une critique constructive peut reprendre ces points en les développant.
– Lintégration au quartier est parfaitement réussie : le bâtiment semble avoir toujours existé, malgré sa modernité de masse et de texture. Dautre part il offre le mérite de la transparence par tous ses angles.
– Les fonctions sont diverses: dix véhicules en état dalerte, cent dix hommes dastreinte 24 heures sur 24 par roulement, dont trente six plongeurs avec matériel de sauvetage. Un gymnase et deux salles de sport spécialisées, des ateliers de remise en état après intervention, une restauration, quatre niveaux de chambres dastreinte individuelle avec dégagement rapide par perches, nombreux vestiaires, une cour de manuvre et des bureaux dadministration. La lisibilité des espaces affectés est lune des qualités principales du projet. Depuis chaque lieu, on peut avoir une percée visuelle sur lensemble.
– Pendant cette prise de notes en fin de matinée, trois alertes ont eu lieu, suivies de départs dans la minute. Un bouton commande même les feux verts du quartier. Huit mille départs par an au même rythme. Lefficacité imprègne la vie quotidienne des activités.
– Le pari de construire le vide, lair du projet a exigé une somme de déblai considérable, mais le résultat est exceptionnel: cest autour de cette grande cour de manuvre horizontale, prolongée par la halle aux véhicules, que les éléments de lédifice sarticulent. Utiliser cette nouvelle hauteur dassise affleurant le granit sous jacent, comme abri pour les voitures de fonction, et comme terrasse belvédère prolongeant la partie restauration, semble couler de source.
– Le caractère de lédifice doit beaucoup au choix des matériaux, outre la configuration spatiale. En extérieur, la feuille de zinc en bardage vertical à joints debout. Très présente, la lumière grise mate du zinc est reprise par des bétons préfabriqués lisses ou sablés en soubassement. Le rapport du sol aux parois devient un rapport de continuité. Des caillebotis dacier galvanisés à lEst clignent de lil aux volets persiennes des chambres, en aluminium, articulés par un rail et perpendiculaires aux façades. Les chambres de dimension monacale, articulées en trois temps, répondent au principe dastreinte. Les sapeurs ny habitent pas en permanence.
– En intérieur, la grande halle aux véhicules, dite remise par les usagers, est impressionnante de clarté, grâce aux grandes fermes treillis en bois kerto de grande portée, et aux parois de verre armé reglit renforçant la lumière. Les sols sont en béton surfacé teinté dans la masse. Le gymnase restauré, très lumineux affirme le caractère bois, lautre très belle salle de sport spécialisée plus basse de plafond présente une tendance grise, ouverte en rythme par des longues portes horizontales en plafond, créant un éclairement oblique selon les heures.
– Pour contraster avec cet ensemble étonnant de gris matériels lumineux, et de bois contreplaqués, des grands pans de peinture rouge vif inondent certains murs. Jen conteste cependant la tonalité, laissant le vermillon aux magnifiques camions, et suggère que locre orangé, aux limites du jaune indien, aurait mieux fait la transition entre bois et lumière grise. Lhomogénéité dun édifice complexe est une vertu, difficile à maintenir, mais essentielle pour faire évoluer larchitecture elle-même. La grande halle lumineuse est un lieu magique, ponctué par les véhicules en attente, et respirant au gré des interventions. Lédifice déjà transparent souvre rapidement au gré des alertes. La critique esthétique inclut donc la technique, la fonction et lopérationnel, ce qui nétonnera pas les amateurs dhistoire et les lecteurs de Vitruve. Lensemble actuel du centre de secours est exemplaire de rigueur, et certains lieux, certains angles de vue dépassent la logique opérationnelle, pour rappeler la rigueur évolutive des derniers projets de Barré-Lambot: immeuble Tourville, au béton matricé, extension de la mairie de Chantenay, aux cuivres verts pré-oxydés, logements en bandes de Norkiouse, aux bardages blancs déternit grandes ondes. La matière bien tempérée, c’est-à-dire la substance habitable, deviendrait lune des clés accessibles dun progrès en architecture, ce quil fallait encore démontrer.
Alain Gunst