Photographe: Philippe Ruault
Nantes, quartier de la Madeleine, Rue Sanlecque, c’est l’histoire d’un rêve d’architecte : un projet que l’on se commande à soi-même. Habituellement, l’architecte travaille pour les autres avec l’argent des autres alors qu’avec Paradise, le demandeur est aussi le payeur. Il a travaillé pour lui et pour ses amis en créant une SCA – Société Civile d’Attribution. 400 m2 pour habiter, exposer et partager.
Agnès Lambot et Philippe Barré ont en effet partagé la conception de ce projet avec deux artistes nantais, Béatrice Dacher et Michel Gerson. Tous deux habitués à voyager, ces derniers ont mis à profit leur expérience pour concevoir avec les architectes un édifice pour ainsi dire « intégré », où tous les aspects de la vie d’un artiste en résidence pourraient se rassembler. Comme un condensateur : en bas, le vaste local d’exposition qui se déploie sur 90 m2, surplombé par une étroite mezzanine taillée comme un passage secret ; juste au-dessus, deux logements offrant confort, couchage et autonomie et deux grands ateliers; et enfin aux 3 et 4ème étages, un duplex montant où habitent, à demeure, les deux artistes qui font vivre le lieu.
Le principe est simple, et la conception des lieux très rationnelle, mais le risque est évident, intéressant, en plein coeur du quartier de la création (peut-être le « vrai ») qui a surgi entre la Chaussée de la Madeleine et le Lieu Unique depuis une quinzaine d’années désormais. C’est peut-être bien parce qu’il est risqué que ce projet a fait l’objet de toutes les attentions, les deux architectes le soignant, à l’image de cette retombée du toit, tout au sommet, indéniablement dessinée jusque dans ses moindres détails. Tout en haut, il y a aussi une terrasse qui permet de faire le tour de son appartement comme on peut faire ailleurs le tour de sa maison – sauf qu’ici la vue court, s’étend très loin, panoramique jusqu’à la tour du Lieu Unique, jusqu’aux émergences de l’Île, en passant par les deux incontournables, la Tour Bretagne et la Cathédrale. Avec ses baies toute-hauteur, l’immeuble s’ouvre généreusement à la lumière de l’ouest sitôt passé le premier étage. Il partage avec ses voisins le système des passages et venelles que l’urbaniste Jean-François Revert aura tenu d’une main ferme et têtue sur vingt ans, achevant en ce moment une ZAC Madeleine-Champ-de-mars lancée par un Jean-Marc Ayrault tout jeune encore et fraîchement élu.
Soin des détails : la mise en oeuvre de chaque plateau conjugue le brut et le lisse. Soin des détails mais simplicité du projet : le principe d’empilement, 400 m2 donc 4 plateaux superposés de 100 m2 chacun, tout béton, plateaux et poteaux-poutres comme l’historique maison Dom-Ino de Le Corbusier. Corbu, la figure tutélaire que l’on retrouve jusqu’à cette petite ouverture, percée toute en longueur dans le mur de la cuisine de l’appartement du haut, dessinant comme un bandeau sur l’escalier. Le tout conjugué lui donne cependant un faux-air de maison tokyoïte atterrie dans cette rue Sanlecque où pendent encore les fils électriques, comme dans une banlieue japonaise. Le bardage acier accentue encore cet effet d’étrangeté familière : familiarité d’une géométrie, jeu (très) savant sur les ouvertures conjuguant verticales et horizontales, et puis étrangeté de l’acier riveté et boulonné se glissant entre les pignons gris du faubourg. Avec ses 6 poteaux enfoncés à 24 mètres, bords de Loire obligent, cette fondation, c’est du solide ! Avis aux mécènes potentiels.
Jean-Louis Violeau, Novembre 2012
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